🎙️🏦 Les coulisses d'une levée de 6,5M€
Avec Thomas Perret, co-fondateur & CEO de Mon Petit Placement.
Salut tout le monde 👋
Il y a quelques semaines, Mon Petit Placement, une fintech bien connue dans les solutions d’investissements pour particuliers, a levé 6,5 millions d’euros !
Cette belle levée a fait pas mal de bruits, et cela pour 2 raisons :
Les levées de fonds de plusieurs millions se font rares en ce moment.
L’annonce de cette levée a été accompagnée de l’annonce… d’un plan de restructuration !
J’ai eu l’occasion de discuter 30 minutes avec Thomas Perret, le co-fondateur & CEO de la fintech, pour vous proposer une édition spéciale sur les coulisses de cette levée.
Au programme de cette discussion enrichissante avec Thomas :
Les raisons de leur levée 🚀
Lever des fonds avec un Corporate 🏢
Le choix d’un plan de restructuration 🤝
L’évolution des valorisations 💶
⏱️ Temps de lecture : 6 minutes
Salut Thomas, est-ce que tu peux te présenter et nous parler de Mon Petit Placement pour commencer ?
Hello Thomas, bien sûr ! Donc je suis Thomas Perret et j'ai 31 ans. Je suis ingénieur de formation, et plus précisément ingénieur et actuaire. J'ai commencé ma carrière dans la finance chez Natixis pendant deux ans, dans la banque d'investissement. Là, j'ai conseillé des investisseurs professionnels, notamment des fonds de pension. Assez rapidement, j'ai réalisé qu'ils avaient accès à des solutions financières et à des niveaux d'accompagnement bien plus étoffés que les particuliers.
C'est ainsi que l'idée de Mon Petit Placement est née : transposer cette expertise du B2B au B2C, et la rendre accessible au grand public. Avant ça, j'ai également eu un parcours entrepreneurial et j'ai participé à deux aventures dans le secteur du B2C hors finance.
Quand tu es proche d'être en réelle difficulté financière, tu te dis vraiment que tu vas faire très attention. On s'est dit qu'on allait bien se recentrer sur nos clients, parce que c'est une force d'avoir autant de clients et il faut bien l’exploiter.
Merci pour cette présentation ! Peux-tu nous donner un peu de contexte sur la levée ? Avez-vous déjà levé auparavant, quand et comment est apparu ce nouveau besoin de lever ?
Notre entreprise a été créée en 2017, et nous nous sommes réellement lancés en 2020. Pour soutenir les trois premières années de R&D et obtenir les agréments nécessaires, nous avions déjà eu besoin de financements.
En 2021, nous avons réalisé une levée de fonds de 6 millions pour accélérer notre développement, car nous avions nos premiers clients et percevions une bonne traction sur le marché.
Et puis, arrivés en janvier-février 2023, après presque trois ans d'activité, nous étions à un carrefour stratégique : nous devions choisir entre viser la rentabilité en modifiant légèrement notre modèle, c'est-à-dire en ciblant des clients avec des paniers moyens plus importants, ou rester fidèle à notre mission de démocratisation. Cette mission, axée sur des petits placements, a un coût en termes de rentabilité puisque des clients qui investissent entre 1 000 et 2 000 euros nécessitent un délai plus long pour devenir rentable.
Nous avons décidé de rester fidèles à notre mission et de faire un nouveau tour de table. On a accepté l'idée que nous atteindrions la rentabilité dans environ 18 mois si nous conservions cette stratégie. C'était un choix difficile, mais nous l'avons fait parce que peu d'acteurs se concentrent réellement sur les petits placements aujourd'hui.
Quel est votre business model ?
Notre modèle économique repose sur des investissements initiaux assez bas, autour de 300 euros, mais avec une forte récurrence de la part de nos clients qui réinvestissent chaque mois.
Nous nous rémunérons de deux manières :
Une partie fixe, dépendante des fonds placés, où nous touchons entre 0,5% et 0,6% des montants confiés en tant qu'apporteur d'affaires. Par exemple, avec 120 millions d'euros sous gestion, nous avons un chiffre d'affaires garanti d'environ 600 à 700 000 euros.
La seconde partie est variable et dépend des gains générés par nos produits. Cette commission est très fluctuante, particulièrement dans le contexte actuel où les marchés sont plus volatils. Elle peut tomber à zéro ou être significative.
Voilà nos deux sources de revenus.
Donc si je comprends bien : une forte croissance, un modèle qui prend un peu plus de temps à être rentable et donc la décision de se dire “est-ce qu'on revoit un peu le modèle et on ne relève pas, ou alors on continue notre mission et on relève des fonds” ?
Exactement ! Après 3 ans, on a plus de 20 000 clients investisseurs, ce qui dans notre secteur est assez remarquable. Et en fait, tu dois avoir un volume d'utilisateurs énorme parce que tu n'es pas comme une banque privée qui, avec 10 clients qui mettent 10 millions, a 100 millions d’encours. Nous, il nous faut 20 000 clients à 5 000 euros pour donner les ordres de grandeur.
Donc tu as vraiment besoin de masse. Ce besoin de masse, ça nécessite beaucoup de marketing et d'acquisition, et ça a un coût.
Il y a eu un plan de restructuration, est-ce que tu peux nous en parler ? Comment ça s’est passé ?
Dès le début, on a travaillé sur un business plan ambitieux en termes de recrutement et de stratégie d'acquisition, et du coup on était équipé en interne pour déployer ce plan-là. On avait un track record qui montrait qu'on avait de très bons chiffres de croissance et une réelle capacité. Passer en trois ans de rien à 20 000 clients, et dire que tu vas arriver à 50 000 les années qui suivent, ce n’est pas incohérent. C’est la continuité.
Donc on avait un plan qu'on estimait réalisable, mais qui nécessitait quand même de creuser dans la tréso, ce qui n'est pas vraiment ce que cherchent les investisseurs en ce moment.
Cette restructuration, ce n’est pas directement une demande des nouveaux investisseurs. Mais on a écouté un peu les fonds avec qui on discutait et on a changé un peu notre fusil d'épaule. Donc on a fait un business plan toujours avec une belle croissance, mais qui est une croissance semblable à 2022.
Et quand tu réduis l'ambition d'acquisition, tu n'as plus besoin d'avoir 6 personnes au marketing ou 15 sales. Tu peux restructurer, ce qui en plus permet de creuser un petit peu moins ta courbe. On a donc 15 personnes qui sont parties.
Comment ça se passe quand on fait un plan de restructuration dans une start-up ?
Il existe différents types de plans : quand il y a une raison économique, quand c'est un plan de sauvegarde, ou carrément de l'emploi. Nous, c'était un plan de licenciement économique.
Ensuite, tu as plein de critères à prendre en compte sur l'ancienneté de la personne, sur sa situation personnelle, sur son département. Tu dois remplir des grilles pour que, si jamais il y a un salarié qui conteste ça, tu peux factuellement expliquer pourquoi lui et pas son voisin. Ce n'est pas à la tête de la personne quoi. Et après, c'est un processus de quatre semaines, à partir du moment où tu annonces ça et le moment où les gens sont sortis des effectifs.
Et les équipes, comment ont-elles vécu ça ?
On était dans une situation où on ne le faisait pas pour optimiser les bénéfices de la boite, mais parce qu’on avait un service à continuer. Donc cette contrainte a fait que ça a été compris, il n’y avait pas d'injustice. C’est plutôt positif pour la confiance, à la fois pour ceux qui sont partis, mais également pour ceux qui restent.
Et puis quand tu quittes une entreprise dans le cadre d'un plan de licenciement économique, tu es bien accompagné. Tu ne mets donc pas des gens en difficulté financière. C’est rassurant en tant que chef d'entreprise, sinon c'est un peu plus difficile.
La France Mutualiste est rentrée au capital. Comment s’est fait le deal ?
Il y a plusieurs trucs qui sont intéressants. Le premier, c'est que moi j'étais un peu mordicus sur "il ne faut regarder que les VC, pas les corporates". Mais à partir du moment où on a commencé les discussions avec la France Mutualiste, c’était beaucoup plus simple en termes de compréhension du besoin.
Quand je dis qu'on fait 1 000 nouveaux clients par mois, 1 000 nouveaux contrats sur le site, un VC va comparer ça avec des apps, avec de la foodtech. Et du coup, c'est un peu plus dur de valoriser le travail. Ça, c'est le premier élément.
Et le deuxième, c'est qu’on a une mission, en tout cas un positionnement, qui est de dire “on va aller travailler les primo-investisseurs”. Et on était très alignés sur le positionnement avec la France Mutualiste. Alors que parfois, quand tu pitches un VC, c'est un mec qui est entouré de CSP+. Donc ils nous disaient "Pourquoi vous n’allez pas adresser des personnes qui vont mettre 50, 100 000, 200 000 € ?". Et nous, on est sur une mission de petits placements, et ça dégrade un petit peu la perception de notre mission.
Ça s’est fait en combien de temps cette levée ? Entre les premières discussions avec la France Mutualiste et le moment où la levée a été finalisée.
La période de négociation pour le financement a été assez brève. Les premiers entretiens ont commencé en juin et, après seulement deux mois, un accord de principe a été signé. Les fonds ont été débloqués fin septembre.
Avec l'interruption estivale, le processus complet depuis les premiers contacts jusqu'à la finalisation du deal et le versement des fonds n'a pris que trois mois et demi.
Est-ce que tu aurais fait les choses différemment avec le recul sur les premières levées ? Peut-être en termes de consommation de cash ou de recrutement ?
C’est une bonne question. J'essaie de ne pas trop m'attarder sur le passé pour mieux me projeter, mais je ne me retourne pas souvent. Il y a deux phases :
La phase 2017-2020, de pré-lancement. J'avais 25 ans, assez peu d'expérience, et là on a perdu pas mal de temps, un peu de cash, pas mal de dilution du coup. Donc effectivement, sur la partie création, je pense que je pourrais aller beaucoup plus vite et faire un peu différemment.
En revanche, la deuxième levée de 6 millions a été plutôt bien investie selon moi. Au moment où la France Mutualiste est entrée, on avait un beau chiffre d'affaires embarqué sur les trois années. Donc ça, je le referais.
On a beaucoup parlé cette dernière année de levée de fonds sur des valorisations souvent déconnante, qui ne sont pas toujours justifiées. On l'a vu avec pas mal de nouveaux tours à la baisse. Comment ça s'est passé pour vous à ce niveau-là?
Quand on a levé des fonds en 2021, on était encore petit. J'ai l'impression que la bulle des valorisations concernait surtout les entreprises à partir de la série A, de la série B. Une entreprise qui faisait 2 millions de chiffre d'affaires annuel était vite valorisée à 20, 30, 40 millions.
Donc nous, on devait sûrement être survalorisé parce qu'on avait levé en 2021, au moment où le marché était euphorique, mais pas de manière déconnante. Là, on a donc pu lever sur une valorisation légèrement supérieure à ce qu'on avait fait en 2021. On a moins subi la bulle.
J'ai toujours trouvé ça intimidant, et impressionnant, le fait d’être dans une situation où tu as une startup qui ne gagne pas forcément d'argent, que ton argent vient d’investisseurs, et que malgré ça, il faut embaucher des gens et dépenser énormément. Comment on gère ça ?
C'est une vraie question qui me rajoutait beaucoup de pression au début !
Mais souvent, les investisseurs te poussent plus que ce que toi tu voudrais faire. Ça m'a donc assez vite mis à l'aise. On pourrait très bien prendre un chemin un peu différent, qui est celui de la patience. Mais en fait, il y a des contraintes de temps, de ROI. C'est cette vitesse qui t'oblige à dépenser de l'argent que tu n'as pas encore.
Et puis le chiffre d'affaires augmente bien, on voit que ce n'est pas de l'argent gaspillé. Ça génère des clients et des encouragements.
Quelles sont les prochaines étapes avec cette levée de fonds ?
Quand tu es proche d'être en réelle difficulté financière, tu te dis vraiment que tu vas faire très attention. On s'est dit qu'on allait bien se recentrer sur nos clients, parce que c'est une force d'avoir autant de clients et il faut bien l’exploiter.
Un de nos gros défis pour nous est également de voir comment rendre la partie variable de notre chiffre d'affaires la plus certaine possible. C'est un peu ce qui nous a fait défaut, plus que le modèle en lui-même. C'est cette dépendance à un truc exogène, qui est la performance des marchés, que tu ne maîtrises pas. Par exemple, lancer des produits dont la performance est garantie nous assure de générer des revenus, et ça réduit donc fortement le risque autour de la rentabilité.
Donc l'objectif est de pérenniser le modèle économique pour s'assurer, pour nous comme pour les clients, plus de certitudes sur les performances.
Un dernier mot pour terminer ?
Oui, j’aimerais parler de notre communication sur la levée de fonds, et notamment sur le plan de restructuration. On a pris le parti d'être très transparent sur cette levée de fonds, et je suis preneur de feedback sur ce sujet. Cette communication est-elle trop transparente, et donc peut être un peu anxiogène, ou au contraire est-elle gage de confiance ?
Un grand merci à Thomas pour son temps et sa transparence ! Rendez-vous la semaine prochaine pour parler de procurement. 🎙️🎙️