Salut tout le monde 👋
L’éducation financière est un sujet qui intéresse de plus en plus les français. Inflation, bourse, ETF, immobilier, de nombreuses newsletters, pages Instagram ou LinkedIn expliquent très bien tout cela.
Il existe toutefois un marché encore très méconnu et peu accessible : celui des permis carbone !
C’est justement la mission que s’est fixée Valentin Lautier en fondant Homaio, la première plateforme européenne permettant aux particuliers d’accéder au marché des permis carbone.
Quotas, crédits, émissions, permis, taxes… il nous explique tout sur leur fonctionnement aujourd’hui !
Au programme :
Les marchés carbone 📊
Leur fonctionnement ⚙️
Les quotas 📉
Les enjeux de Homaio 🚀
⏱️ Temps de lecture : 8 minutes
Hello Valentin, pourrais-tu te présenter pour commencer ?
Salut Thomas, ça fait une dizaine d'années que j'alterne entre création d'entreprises, accompagnement de startups, et plus généralement, accompagnement d'entreprises à l'intersection entre la finance et l'innovation. J'ai toujours été à mon compte, donc soit entrepreneur, soit investisseur, soit freelance sur des sujets de levée de fonds, de M&A, ou de création de fonds.
Les entreprises que j'ai créées étaient dans des secteurs assez différents. J'ai fait une première fintech début 2010, du paiement mobile. Ensuite, j'ai créé une agence de visualisation architecturale en réalité virtuelle, un modèle B2B, qui m'a un peu ennuyé parce que le cycle de vente était super long. Et donc, j'ai repris une grosse partie des technos qu'on utilisait pour créer une marque de maquillage en réalité augmentée, avant le rush NFT.
À ce moment-là, j'ai commencé à m'intéresser également aux marchés carbone, et spécifiquement au marché des quotas d'émissions ou “permis carbone”.
Ce que le système de permis a introduit, c'est une obligation de payer pour cette pollution : non pas "si tu veux polluer, tu payes", mais "parce que tu pollues, tu dois payer". En fait, ce ne sont pas tant des “droits à polluer” que des “droits de tirage sur un budget fini et qui diminue”.
Comment en es-tu arrivé à t’intéresser à ce marché ?
Je voyais ce marché comme l'association parfaite entre performance financière et performance environnementale. Donc ayant un impact réel, consensuel, sur la réduction massive et rapide des émissions de gaz.
Au début, mon intérêt était plutôt personnel. Je voulais investir dans ce marché, convaincu qu'il s'apprécierait sur le long terme, un peu par construction, et que mon investissement contribuerait à accélérer les trajectoires de réduction des émissions. Assez rapidement, je me suis rendu compte que ces marchés étaient inaccessibles. J'ai commencé à faire mes recherches, à demander à des amis, à appeler des gens, et j'ai réalisé que ce n'était pas simplement un manque de connaissances de ma part, mais que le marché excluait réellement les petits investisseurs particuliers. J'étais hyper frustré et, pendant des mois, voire des années, je trouvais absurde qu'un marché associant véritablement impact et rendement, ce que tout le monde recherche, soit l'un des seuls à être inaccessible.
Il y a quelques années, j'ai donc décidé de tout arrêter pour me concentrer sur ce sujet et trouver une solution qui permettrait aux particuliers d'accéder à ce marché des quotas d'émission. Nous avons trouvé la solution, un mix d'innovation réglementaire, juridique, financière et un peu technologique aussi. Il y a un an, nous avons créé une entreprise, levé un peu d'argent, constitué une équipe et lancé une première plateforme d'investissement il y a quelques mois, pour permettre à des gens comme toi et moi de participer au marché.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est un marché carbone ?
C'est une excellente question parce qu'en fait, il y a deux grands marchés carbone. Quand on parle de marché carbone, il est essentiel de distinguer si c'est :
Le marché de la compensation (ou marché volontaire, ou marché des crédits carbone), un marché tout petit mais souvent mentionné.
Le marché des permis carbone, ou quotas carbone, ou droits d’émission, qui est un gigantesque marché régulé.
Il y a une confusion entre permis carbone et crédit carbone car les termes se ressemblent. Le marché des permis carbone est massif, environ 500 fois plus gros que le premier, mais rarement évoqué et assez méconnu. Ce n'est pas un marché volontaire, mais un marché réglementé, où les participants sont obligés de participer.
Chez Homaio, nous nous concentrons sur ce second marché. Alors, quelle est la différence entre les deux ?
Le marché de la compensation est un marché où des acheteurs, comme toi et moi ou des entreprises, cherchent à compenser leurs émissions de CO2. Par exemple, compenser l'impact d'un vol Paris-New York en finançant un projet qui va absorber ou éviter du CO2 ailleurs. Tes émissions et cette compensation se neutralisent, permettant de revendiquer une certaine neutralité carbone. Ce mécanisme est utilisé par les entreprises qui souhaitent afficher une neutralité carbone, comme easyJet qui propose des vols neutres en carbone. Ce marché est entièrement volontaire, sans obligation pour l'acheteur ni pour le vendeur de crédits carbone, ce qui peut engendrer des problèmes de demande et d'offre, rendant le marché très fragmenté et opaque.
D'un autre côté, le marché des permis carbone est un marché réglementé où une juridiction, qu'il s'agisse d'un gouvernement national ou d'institutions régionales, fixe un plafond d'émissions et impose à certains secteurs économiques de ne pas dépasser ce plafond. C'est la loi. Pour s'assurer du respect de cette loi, des permis carbone sont émis en quantité équivalente au budget. Par exemple, en Europe, environ 1,5 milliard de permis sont émis chaque année, couvrant la moitié des émissions européennes. Les industries doivent détenir un nombre de permis équivalent à leurs émissions, qui sont ensuite détruits par l'Union européenne. Chaque année, le plafond de permis disponibles diminue, ce qui augmente leur valeur et incite les industries à chercher des alternatives pour réduire leurs coûts.
L'existence de ce marché réglementé permet de décarboner l'industrie dans les juridictions concernées. En Europe, cela a contribué à une réduction de 40% des émissions des industries concernées depuis 2005. La valeur d'un permis carbone a augmenté en moyenne de 25% par an sur les 10 dernières années. Nous sommes donc à l'intersection entre performance financière et réduction réelle des émissions.
Pour clarifier, quand nous parlons de marché carbone, nous nous référons aux marchés régulés du carbone, qui couvrent environ 10 milliards de tonnes de CO2, soit environ une tonne sur cinq émises à travers le monde.
Quel est le lien entre le permis et la valeur financière ? Tu peux nous expliquer comment fonctionne le marché ?
Prenons l'exemple de Paris, où il y a environ 20 000 taxis. Pour être taxi, il est nécessaire d'avoir une licence, dont le coût est, sauf erreur de ma part, d'environ 200 000€. Imaginons que la Mairie de Paris émette 20 000 licences. Si demain tu décides de devenir taxi, tu devras acheter une licence pour pouvoir opérer. Maintenant, supposons que la mairie annonce qu'elle ne délivrera plus 20 000 licences, mais seulement 15 000. La valeur de la licence pourrait alors dépasser les 200 000€, car face à une demande constante et offre qui diminue, le prix augmente. Si l'année suivante, le nombre de licences passe à 10 000, la valeur de chaque licence augmentera encore, étant donné que l'objet devient plus rare et donc plus précieux pour une demande donnée.
Le marché des permis carbone fonctionne de manière similaire. L'Europe fixe un plafond d'émissions : on ne peut pas émettre plus de 1,5 milliard de tonnes de CO2 par an. Il y a donc 1,5 milliard de permis disponibles. Les industries concernées, c'est-à-dire celles qui ont l'obligation de respecter ce plafond, doivent acheter ces permis. Elles s'adressent à l'Europe en disant, par exemple, "Salut, je veux acheter des permis car j'ai produit du ciment, de l'acier ou de l'électricité et donc émis du CO2". D'année en année, le nombre de permis diminue légèrement, réduisant ainsi l'offre face à une demande potentiellement constante, ce qui entraîne une augmentation de la valeur de chaque permis.
Ce prix, quand évolue-t-il ?
Le marché primaire, où l'Europe émet des permis, se déroule tous les matins. L'Europe annonce, par exemple, la mise en vente de 1,5 milliard de permis répartis sur 220 jours ouvrés. Chaque matin, une vente aux enchères est organisée de 9h à 11h sur une plateforme en ligne, où l'on propose, disons, 150 millions de permis à la vente. Les entreprises comme Total peuvent dire qu'elles ont besoin de 5 millions de permis, Lafarge de 10 millions, et ArcelorMittal d'un million, chacune offrant un prix spécifique, ce qui initie une enchère.
Des banques participent également, car elles ont des clients, comme un producteur de sucre ou de verre, qui n'ont pas nécessairement une équipe de traders pour négocier les prix. Ces clients demandent à leurs banques d'acheter des permis en leur nom, ce qui inclut aussi des courtiers et autres institutions financières agissant sur le marché. Cette dynamique crée un marché très liquide, avec environ 4 milliards d'euros d'échanges quotidiens. Les banques achètent des permis pour les revendre à leurs clients, Total peut vendre ses excédents à d'autres entreprises, ArcelorMittal peut anticiper ses besoins et acheter un certain nombre de permis, pour ensuite réaliser qu'ils en ont trop ou pas assez et ajuster leur position. Le prix varie donc constamment, à l'image des actions de sociétés cotées en bourse comme LVMH ou L'Oréal.
Avec un grand volume de transactions, le prix des permis carbone est sujet à fluctuations. Actuellement, le prix est d'environ 55 € par tonne de CO2, ce qui signifie que chaque tonne émise coûte approximativement 55 euros à l'industrie concernée. Ce prix peut légèrement augmenter ou diminuer le lendemain, mais il représente le coût actuel de l'émission d'une tonne de CO2.
Donc, tu as un marché primaire pour les entreprises qui ont besoin d'acheter des permis pour compenser leurs émissions, et ensuite tu as un marché secondaire où les entreprises et les particuliers peuvent s'échanger entre eux les permis, c'est bien ça ?
Exactement. Jusqu'à présent, seules les industries assujetties ayant l'obligation légale de détenir un nombre de permis équivalent à leurs émissions, et les institutions financières agissant en leur faveur, pouvaient participer à ce marché. Sur le marché primaire, des acteurs majeurs comme Arcelor et Total, agissant en quelque sorte comme des grossistes, achètent en grande quantité. Les plus petits acteurs, n'ayant pas besoin d'autant de permis, se tournent vers le marché secondaire. C'est comparable à Carrefour qui achète du lait en gros pour ensuite le vendre au détail à des consommateurs ou des restaurants.
Ceux qui étaient exclus de cette dynamique étaient les particuliers, comme toi et moi, sans aucun moyen de participer à ce marché. C'est comme si on te disait soudainement que tu ne peux plus investir en Bourse. J'ai trouvé cette exclusion profondément injuste, inefficace, et absurde sur plusieurs points, notamment d'un point de vue politique et démocratique. C'est un problème majeur car le marché carbone est au cœur de la stratégie climatique de l'Union européenne et de ses États membres. Pourtant, le grand public est largement ignorant de son existence et de son fonctionnement, en partie parce que la participation y est restreinte. Laisser la définition et l'évolution de ce marché aux mains des politiciens, technocrates, et industriels est une catastrophe démocratique. D'un point de vue financier, un marché gagne en stabilité, liquidité, et efficacité avec une diversité d'acteurs. C'est aussi un non-sens économique car les particuliers, la société civile, supportent les coûts des externalités négatives des émissions sous forme de réchauffement climatique, destruction d'infrastructures, et baisse des récoltes.
Il est donc logique que ces coûts, subis malgré nous, puissent être neutralisés par notre participation à un marché qui prend de la valeur à mesure que les émissions augmentent. La non-participation des particuliers au marché carbone européen était, à mon avis, assez scandaleuse. C'est pourquoi nous avons créé Homaio, la première solution en Europe permettant à des gens comme toi et moi de participer à ce marché.
C'est super intéressant ! Les gens aiment comprendre un minimum ce en quoi ils investissent, vous avez un fort enjeu de démocratisation et vulgarisation je suppose.
L'enjeu est gigantesque. Nous sommes confrontés à un défi colossal, mais nous ne pouvons pas le relever seuls. Tous ceux qui s'intéressent à la finance, au climat, et à leur intersection doivent s'emparer de ce sujet. C'est pourquoi disposer d'opportunités comme celle que tu m'offres, de répondre à tes questions, est extrêmement précieux. Je considère souvent que nous reposons sur trois piliers : la performance financière, l'impact environnemental via la réduction des émissions, et l'éducation sur la finance climatique en général et les marchés carbone en particulier.
Une grande partie de notre mission concerne la vulgarisation. Il s'agit de faire en sorte que les gens soient conscients de l'existence de ce marché. Le fait que beaucoup ignorent son existence alors qu'il représente un marché de 800 milliards d'euros à l'échelle européenne, couvrant 1,5 milliard de tonnes de CO2 et ayant connu une appréciation moyenne de 25% par an sur les dernières dix années, est tout simplement stupéfiant.
25% par an c’est le rendement annuel moyen, c'est ça ?
Alors, le rendement du marché des permis carbone est, bien entendu, non garanti. Je te parle ici d'une moyenne d'appréciation de la valeur du permis sur les dix dernières années, qui est d'environ 25% car le marché a baissé récemment. Sa performance dépend de nombreux facteurs qui influencent la demande. Actuellement, en hiver, nous observons une consommation d'électricité réduite due à des températures élevées, réduisant ainsi les émissions liées à la combustion de charbon et de gaz, ce qui diminue la demande de permis carbone. La production industrielle en Europe a significativement chuté ces derniers mois, entraînant une baisse de la demande de la part des secteurs métallurgique, sidérurgique et cimentier.
Lorsqu'il y a beaucoup de vent en mer du Nord, la production d'énergie décarbonée augmente grâce à l'éolien, réduisant le besoin de permis carbone. À l'inverse, lorsque le gaz est cher, la production d'électricité se tourne vers le charbon, plus émissif mais moins coûteux, augmentant ainsi la demande de permis et faisant monter les prix. Le marché est donc influencé par divers facteurs macroéconomiques, énergétiques, géopolitiques et politiques, ce qui en fait plutôt un investissement à moyen ou long terme. Les investisseurs doivent être prêts à supporter les fluctuations à court terme, pouvant voir le prix monter ou descendre de manière très volatile.
Investir dans les permis carbone comporte un risque, avec la possibilité de perdre totalement ou partiellement son capital. Notre rôle est de fournir un accès à ce marché via notre plateforme d'investissement, sans offrir de conseil financier ou de gestion active. Nous donnons simplement les moyens d'investir et de sécuriser cet investissement, mais c'est à l'investisseur de gérer le risque et de décider du moment d'entrée, de sortie et du montant à investir.
Concernant les quotas, on entend souvent que c’est un “droit à polluer”. Tu en penses quoi ?
C’est un traitement journalistique simplificateur du marché, lié à l'appellation "permis carbone", qui peut laisser penser qu'il permet l'émission de CO2. Mais cette vue est réductrice et ne reflète pas la réalité. Avant même la création de ce marché, les industries polluaient. Ce que le système de permis a introduit, c'est une obligation de payer pour cette pollution : non pas "si tu veux polluer, tu payes", mais "parce que tu pollues, tu dois payer". En fait, ce ne sont pas tant des “droits à polluer” que des “droits de tirage sur un budget fini et qui diminue”. Plus une entreprise pollue, ou continue de polluer, plus elle doit payer, surtout avec l'augmentation du prix des permis et la réduction de leur quantité disponible.
Au démarrage du marché en 2005, face à une économie fortement carbonée, l'idée était d'inciter les industries carbonées à investir dans la modification de leurs processus industriels pour produire de manière moins polluante. Il s'agit de leur dire que désormais, chaque tonne de CO2 émise sera facturée. Même si certaines allocations de permis ont été distribuées gratuitement au début pour éviter la délocalisation des entreprises. Mais en résumé, chaque tonne de CO2 émise coûte de plus en plus cher, surtout si les efforts de décarbonation tardent.
Je ne perçois donc pas les quotas comme un "permis à polluer". On pourrait plutôt les envisager comme des "permis à émettre" dans le cadre d'un budget carbone qui se réduit progressivement. La critique souvent entendue repose sur une mauvaise interprétation de la mécanique du système, due à sa nomenclature.
Vous en êtes où à l'heure actuelle, et quels sont vos enjeux à venir cette année ?
Nous avons fondé la société en mai, puis réalisé notre première levée de fonds en juin. Notre premier produit a été lancé en octobre. Actuellement, nous sommes une équipe de trois personnes, et nous faisons face à deux défis majeurs.
Le premier est le recrutement : notre objectif est de doubler notre effectif pour passer à six dans les semaines à venir, puis d'augmenter notre équipe à huit sur le deuxième trimestre. Nous cherchons des talents dans les domaines de la vente, du marketing et de la tech.
Le second enjeu est celui de la collecte de fonds, c'est-à-dire d'attirer un maximum d'investisseurs sur notre produit. Cela nécessite un effort conséquent en matière d'éducation, de popularisation et de vulgarisation, afin de nous faire connaître, comme c'est le cas pour toute startup.
Merci beaucoup à Valentin pour toutes ces explications ! Rendez-vous la semaine prochaine pour parler de services bancaires.