Emprunter à la retraite, c’est possible ! 🏠🧓🏦
Avec Thomas Bodereau, co-fondateur et CFO d’Arrago.
Salut à tous 👋
Les seniors sont une population souvent exclue du système bancaire. Revenus généralement plus faibles, risque de santé plus importants, ce n’est pas toujours simple d’obtenir un prêt !
Pour répondre à ce besoin, il existe le prêt viager hypothécaire. Le nom fait un peu peur, mais Thomas Bodereau, le co-fondateur et CFO d’Arrago, nous explique tout à son sujet.
Au programme de notre discussion :
Le prêt viager hypothécaire 🏠
Le marché européen 🇪🇺
Leur business model 💶
Les enjeux d’Arrago 🚀
⏱️ Temps de lecture : 7 minutes
Salut Thomas, peux-tu te présenter pour commencer ?
Salut Thomas, je suis Thomas Bodereau, CFO et l’un des 4 co-fondateurs d'Arrago. J'ai 45 ans, et avant de travailler chez Arrago, j'ai travaillé en banque de financement et d’investissement, principalement chez Natixis, sur du financement de navires, de matières premières, ou d’immobilier.
“En Angleterre, quand il y a un viager, il y a 99 prêts viager hypothécaires. C'est devenu la solution qui a remplacé le viager.”
Peux-tu nous parler d’Arrago ?
Arrago est une fintech spécialisée dans le prêt viager hypothécaire. Ce produit financier est mieux connu dans certains pays sous les termes de reverse mortgage, equity release mortgage, ou lifetime mortgage. Le prêt viager hypothécaire, nous l'avons appelé "Prêt 60". C'est un peu plus “sympa” comme formule.
Le prêt viager hypothécaire, comme son nom l'indique, est un prêt. En France, les banques ont un monopole sur les prêts aux particuliers, donc il s'agit d'un prêt bancaire. Le terme "viager" doit être pris au sens littéral, qui signifie jusqu'à la fin de la vie, ou jusqu'à la mort. Et il est qualifié d'hypothécaire parce qu'il est sécurisé par une hypothèque sur un bien immobilier.
Le produit est destiné aux propriétaires, que ce soit de leur résidence principale, d'une résidence secondaire, ou d'un bien locatif. Il doit être à usage d'habitation, exclusivement détenu en direct, et non via une SCI. Il est accessible dès 60 ans, sans limite d'âge, sans assurance, et sans questionnaire de santé, ce qui le rend particulièrement inclusif.
Aujourd'hui, l'âge moyen des souscripteurs est de 76 ans, ce qui indique clairement que ce produit s'adresse à une population très souvent exclue du système bancaire classique. Nos clients les plus jeunes ont 61 ans, et les plus âgés 94 ans. Ce prêt dépend de l'âge de l'emprunteur et de la localisation du bien, car la seule garantie est l'hypothèque sur le bien, et nous devons nous assurer de la liquidité potentielle du marché.
Tu peux nous en dire plus sur son fonctionnement ?
La spécificité de ce prêt, c'est qu'il n'est pas adossé aux revenus des particuliers. Si tu fais un prêt conso ou un prêt immo classique, les banques ont un recours sur tes revenus. Donc, si tu arrêtes de payer, ils ne vont pas forcément te sortir de chez toi et mettre ton appartement en vente, ils vont d'abord chercher à récupérer des revenus, et ils en ont le droit.
Nous, nous ne nous basons pas sur les revenus des gens et donc nous avons un prêt qui n'a pas de mensualité. C'est un prêt qui capitalise, ce qu'on appellerait à l'école un zéro coupon. Le taux d’intérêt capitalise annuellement.
Ce prêt qui n'a pas de mensualité correspond très bien à la population des seniors, car en général, à la retraite, on gagne moins qu'en travaillant. Donc, on n'entame pas le reste à vivre des seniors.
Et concernant le remboursement ?
Les cas de remboursement sont simples :
Tu peux rembourser le prêt quand tu le souhaites, comme pour n'importe quel prêt. Tu peux effectuer un remboursement anticipé, soit partiel soit total, si tu as des liquidités.
Deuxième cas, tu vends la maison. Au moment de la vente, le notaire reçoit l'argent de la vente et le redistribue aux créanciers donc en premier lieu au remboursement du prêt viager hypothécaire.
Troisième cas, au décès, le prêt viager hypothécaire est remboursé soit par la vente du bien soit par les héritiers s’ils veulent conserver le bien.
L'intérêt de ce système est qu'au moment du remboursement, il y a très souvent une différence de valeur entre le prix du bien et le capital restant dû du prêt viager hypothécaire. Ce différentiel peut soit revenir au vendeur, soit aller aux héritiers dans le cas où le remboursement se fait au moment du décès de l'emprunteur (notre troisième cas de débouclage).
Tu aurais des exemples à nous donner ?
Prenons deux cas extrêmes. Imaginons d'abord un homme seul qui contracte un emprunt et décède un mois après avoir souscrit à l'emprunt. Il est peu probable qu'il ait dépensé l'intégralité du capital. Il y aura donc eu un mois d'intérêt, et la différence entre le prix de sa maison et le capital restant ira à ses héritiers au moment de la vente du bien. C'est un cas extrême où la personne ne vit pas longtemps après la souscription.
Dans le second cas, à l'opposé, imaginons quelqu'un qui vit beaucoup plus longtemps, par exemple une personne qui souscrit à 75 ans et qui décède à 115 ans. Dans ce scénario, la dette continue de capitaliser, c'est-à-dire qu'elle augmente avec le temps, et à un moment elle pourrait dépasser la valeur du bien. Dans ce cas, tant pis pour le prêteur. Il ne peut récupérer que la valeur du bien à terme. Il n’y a pas d’impact supplémentaire sur l’héritage. C’est uniquement le bien qui est la sûreté du prêt.
Les banques proposent-elles directement cette solution ?
Il y a le Crédit Foncier qui l'a fait pendant quelques années lorsque la loi est sortie en 2006. Mais la banque a eu des déboires, qui n'étaient pas liés à cette activité, donc ça s'est arrêté.
Les autres banques n'ont jamais vraiment adopté ce produit pour deux raisons principales :
La première est un problème de chaîne de gestion : comment gérer un prêt qui n'a pas de maturité définie dans le système ? Cela peut paraître anodin, mais c'est un véritable obstacle.
Le deuxième problème, les cas de clôture nécessitent une chaîne de gestion appropriée, souvent liée à des affaires de succession, pour lesquelles les banques ne sont pas vraiment équipées. Ce n'est pas vraiment leur domaine.
Troisième problème, la gestion actif-passif. Porter un risque de longévité au bilan n’est pas le métier des banques.
Quel est votre business model ?
Notre business model est assez simple. Il inclut des frais de dossier et des frais de courtage lors de l'octroi de ce type de prêt. Ensuite, nous gérons un portefeuille de prêts viagers hypothécaires. Nous percevons des commissions de conseil de la part de notre fonds. Puis, éventuellement, lorsque nous revendons ce risque agrégé sous forme de portefeuille, en fonction de la configuration des taux, il peut y avoir des plus-values.
Vous êtes présent uniquement sur le marché français ?
Nous nous concentrons uniquement sur le marché français. Pourquoi ? Parce que chaque pays a sa propre législation, et nous opérons sur un marché qui présente un gros potentiel et sur lequel nous connaissons une forte traction depuis quelques mois.
Nous allons d'abord essayer de craquer le marché français, et nous verrons ensuite ce que nous pouvons faire ailleurs. Ce n'est pas un produit qui est disponible dans tous les pays, mais nous avons des situations comparables à la nôtre en termes de mode opératoire aux Pays-Bas, en Irlande, en Suède, en Espagne, en Italie et au Portugal, où ce modèle se développe.
Vous vous inspirez de ce qui se fait sur les autres marchés européens ?
Oui, notamment de la Grande-Bretagne, qui est une référence pour nous. Là-bas, il n'y a pas de contrainte de monopole bancaire, ce qui change la donne. Dans ce contexte, étant donné le risque de longévité, ce sont principalement les assureurs qui deviennent les premiers pourvoyeurs de prêts viagers hypothécaires. Au Royaume-Uni, des acteurs majeurs comme Aviva ou Legal & General sont impliqués directement dans ce type de prêts.
Comment vous vous faites connaître auprès d'une population qui n'est pas forcément très portée sur le digital ?
Nous avons trois canaux principaux : le premier canal est celui des courtiers des banques avec lesquelles nous travaillons, c’est le canal B2B. Ces courtiers font leur travail habituel, avec un peu de publicité et de marketing, et ils constituent aujourd'hui nos principaux pourvoyeurs en volume. Ensuite, nous avons des indicateurs d'affaires qui peuvent nous remonter des dossiers. C’est un canal B2B2C. Enfin, nous avons un canal B2C direct, qui est notre site internet accompagné de quelques actions de marketing digital.
Il est vrai que notre public cible n'est pas le plus digitalisé, mais chaque jour, ces populations deviennent de plus en plus connectées. Les membres de leur entourage familial, souvent plus à l'aise avec le digital, peuvent également se renseigner sur ce produit. L'intérêt de ce prêt est qu'il est non affecté, comme un crédit à la consommation. Cela signifie que les seniors peuvent utiliser l'argent comme ils le souhaitent, dans le cadre de la légalité, bien sûr.
Quels sont les usages généralement ?
Les usages que nous constatons sont variés.
Premièrement, il y a les travaux d'ordre énergétique, tout ce qui est lié au DPE, qui est un vrai sujet parce qu'à un certain âge, on ne peut pas se permettre de grandes dépenses, et ces travaux coûtent cher.
Ensuite, l'adaptabilité, c'est-à-dire refaire des installations à domicile pour des populations vieillissantes qui ont besoin d'installations plus ergonomiques et faciles à utiliser.
Il s'agit aussi de financer de l'aide à domicile, nécessaire dans des situations de pré-dépendance, où il n'y a pas forcément de dépendance lourde mais un besoin d'assistance. Un autre usage fréquent est le financement de l'aide intergénérationnelle, souvent destinée aux petits-enfants.
Nous ne visons pas de segments de marché spécifiques. Nous offrons un produit mass market. Nos prêts sont comparables à des crédits à la consommation et non des crédits immobiliers. Actuellement, le crédit moyen que nous accordons est de 130 000€, avec des taux autour de 6%.
Quels sont vos enjeux à venir ?
Nous avons une forte traction, donc c'est de développer nos financements auprès d'institutionnels pour continuer à pouvoir octroyer un maximum de prêts viagers hypothécaires.
Et puis, il faut aussi que l'on fasse un peu plus d'évangélisation, parce que ce sont des populations qui ne connaissent pas ce produit. Et il a un intérêt très fort ! Comme on reste propriétaire, si l'immobilier monte, ce qui est très probable sur les longues durées de nos prêts, c’est l'emprunteur et sa famille qui continue d’en profiter. Ça explique pourquoi en Angleterre, quand il y a un viager, il y a 99 prêts viager hypothécaires.
Un grand merci à Thomas pour cette discussion ! La semaine prochaine, on parle d’épargne salariale.