Hello tout le monde 👋
C’est une petite victoire pour moi, j’ai réalisé ma première interview d’un CEO de licorne ! 🦄
J’ai eu le plaisir de discuter avec Rodolphe Ardant, le co-fondateur & CEO de Spendesk.
La fintech, devenue licorne en 2022 après une levée de 100 millions d’euros, est spécialisée dans la gestion des dépenses pour les entreprises.
Au programme de notre échange notamment :
L’expansion européenne 🇪🇺
Garder le contrôle 🚀
La culture d’entreprise ⭐
L’importance du business model 💶
⏱️ Temps de lecture : 6 minutes
Salut Rodolphe, pourrais-tu te présenter pour commencer ?
Salut Thomas ! Je m'appelle Rodolphe Ardant, j'ai 42 ans, et je suis marié et père de trois petites filles. Sur le plan professionnel, je suis ingénieur de formation, diplômé de l'École Polytechnique. Juste après mon diplôme, j'ai entamé directement ma carrière dans l'entrepreneuriat, donc j'étais parmi ces fous qui lançaient une entreprise juste après l'école. Je pense avoir commis toutes les erreurs qu'un ingénieur peut faire en démarrant sa première entreprise. Mais cette première entreprise s'est très bien finie, puisqu'elle a été rachetée par Pages Jaunes en 2013. Je suis resté là-bas à peu près un an. Ensuite, je suis reparti dans le monde des startups où j'ai rejoint Drivy, un service de location de voiture entre particuliers, que j'ai quitté pour créer Spendesk.
C'est important pour un entrepreneur et pour une entreprise d'attacher beaucoup d'attention à la structure du modèle économique et de s'assurer qu'il soit sain à toutes les étapes du développement de l'entreprise.
Que faites-vous chez Spendesk ?
Ce que nous faisons chez Spendesk, c'est assez simple. Nous croyons énormément dans les entreprises qui libèrent leurs collaborateurs dans leur manière d'être, pour leur permettre de faire un bon travail au quotidien. Ce que nous leur permettons de gérer, ce sont toutes les dépenses opérationnelles de l'entreprise. Donc lorsqu'un collaborateur est amené à dépenser de l'argent pour sa boîte, quel que soit le type d'achat, le moyen de paiement, le moment où il a besoin d'acheter, nous simplifions tout ce processus entre l'équipe financière, qui a besoin de contrôler l'argent de l'entreprise, et les collaborateurs, qui sont amenés à dépenser cet argent. Le tout en offrant aux collaborateurs une expérience très proche de celle qu'ils peuvent rencontrer dans leur vie privée lorsqu'ils dépensent leur propre argent, et aux équipes financières, toute l'automatisation, le contrôle, le suivi, la traçabilité qui sont nécessaires dans un milieu professionnel.
Nous sommes vraiment partis de ce constat où, aujourd'hui, c'est un processus qui est extrêmement centralisé, très axé sur le papier, très bureaucratique dans les entreprises. Où finalement le besoin de contrôle, qui est nécessaire, amène une perte d'agilité opérationnelle et n'est pas adapté aux manières modernes de travailler.
Aujourd'hui, nous sommes présents partout en Europe, principalement sur quatre marchés : la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne.
Votre expansion européenne se fait de manière organique ou par des rachats ?
On a opté pour une expansion de manière organique. Notre ambition, c'est de devenir le nouveau standard du paiement au travail. On souhaite vraiment construire cette nouvelle norme, remplaçant les processus très manuels et bureaucratiques du passé, par un standard pour les entreprises modernes qui libèrent leurs collaborateurs de toutes leurs contraintes opérationnelles.
Donc, dans notre réflexion initiale, le niveau d'ambition était de se demander comment s'assurer de construire un produit répondant aux besoins de toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité, et d'essayer de comprendre s'il existait des enjeux culturels, si la manière de dépenser de l'argent au sein de sa boîte était différente dans différents pays. Très tôt, vraiment dès le lancement de l'entreprise, on a eu besoin, d'un point de vue produit, de comprendre comment construire notre produit avec une dimension internationale.
Contrairement à l'adage qui conseille de construire d'abord son produit dans son marché local puis de s'internationaliser une fois une certaine dominance ou présence établie, pour nous, il a été très important de procéder dans l'autre sens. On voulait être un produit international dès le début donc, très tôt, nous avons démarré au Royaume-Uni et en Allemagne, ciblant les trois marchés stratégiques européens pour commencer à comprendre ce qu'il fallait construire.
Comment avons-nous procédé ? Nous l'avons fait de manière organique, depuis Paris, où nous avons commencé à recruter des profils internationaux pour développer ces marchés. Une fois qu'une certaine masse critique a été atteinte, nous avons ouvert des bureaux dans les différents pays pour apporter une dimension locale à notre développement international.
Le point hyper important, et c'est ce que nous avons, je pense, très bien réussi à faire : c'est que l'ADN de l'entreprise a été international dès le début. L'anglais était déjà la langue parlée. Cela peut paraître évident pour une entreprise anglophone, mais nous ne l'étions pas. Donc, même quand nous étions un groupe de Français au démarrage, toute la documentation et la communication étaient en anglais au sein de l'entreprise, ce qui nous a permis très tôt de recruter et onboarder des profils internationaux.
On parle beaucoup d’horizontalisation, de verticalisation dans les fintechs. Vous, vous êtes une plateforme 7-en-1. C'est quoi le futur de la plateforme Spendesk ?
Traditionnellement, la gestion des dépenses en entreprise est segmentée en fonction des différents cas d'usage. La gestion des notes de frais qui peut être traitée par une solution ou un process particulier, la gestion de tes achats fournisseurs qui va être traitée par un autre process ou une autre solution, les gestions budgétaires qui sont traitées par une solution distincte... Mais cela crée une complexité à la fois pour les équipes financières et pour les collaborateurs. C'est-à-dire que, en fonction de la typologie d'achat, je dois me demander quel outil utiliser, quel process suivre. Et si je me trompe, il y a des erreurs de données et la réconciliation est compliquée. La croyance que j'ai, c'est comment tu amènes cette simplicité, cette décentralisation de l'accès à l'argent sous les bons frameworks de contrôle pour l'entreprise du point de vue des collaborateurs.
Notre innovation et notre vision, c’est que lorsque quelqu'un est amené à dépenser l'argent pour le compte de son entreprise, il ait une solution complète où il puisse avoir tout le contexte, l'accès, les règles qui soient implémentées dans cet outil. Cela pour simplifier du point de vue de l'acheteur tous ces processus, mais surtout pour les équipes financières, amener cette valeur où tous les flux sont centralisés au même endroit. Toutes les opérations de contrôle peuvent donc être opérées de manière extrêmement simple.
C'est vraiment notre vision là-dessus, c'est-à-dire croire dans cette abstraction de la complexité grâce à une solution tout-en-un.
Spendesk est également connu pour être une licorne. Est-ce que c'est important pour toi ?
Ce n'est pas quelque chose à laquelle on accorde extrêmement d'importance chez Spendesk. En tant que fondateur, l'ambition que nous avons est de créer quelque chose qui s'inscrit vraiment sur le long terme.
Le fait d'être une licorne, c'est juste une indication de traction sur le marché, montrant que nous avons un produit qui répond à un réel besoin des entreprises. Cela nous permet de continuer à croître et à développer notre entreprise sur le long terme. Après, c'est sûr que ça fait toujours plaisir de se dire qu'on est une entreprise qui grossit très vite et qui est reconnue par le marché comme ayant un très fort potentiel.
En fondant Spendesk, avais-tu l’ambition de créer une licorne, ou en tout cas quelque chose de très grand ? Quel était ton état d’esprit ?
C'est une très bonne question parce que je pense que, pour un entrepreneur, tu as besoin d'avoir des croyances, une ambition qui soit assez forte et ancrée dès le départ.
Pour moi, c'était extrêmement clair parce que j’avais déjà été entrepreneur et j’avais connaissance du roller coaster que ça peut être. Donc je me suis reposé la question : qu'est-ce qui allait me tenir éveillé, motivé ? Et ça, ça se réduit vraiment à deux choses essentielles pour moi :
Un, essayer de construire quelque chose qui peut être extrêmement ambitieux. Et là, je reviens sur cette idée de standard, de créer une nouvelle norme. Avant que tu existes, les gens utilisent un autre standard, mais qui n’est pas adapté, et toi, tu amènes quelque chose sur le marché où tu deviens la norme. Et ça, c'est quelque chose qui m'excite énormément.
Et le deuxième point, c'est construire une organisation dont on soit extrêmement fier, dans notre manière de travailler, de traiter les gens. Une entreprise où tes collaborateurs se disent que ce sont les meilleurs moments de leur carrière professionnelle.
Donc, ces deux choses sont assez inspirationnelles et aspirationnelles pour nous. C'est vraiment les deux éléments qui sont clés dans notre ADN.
Il y a beaucoup de premiers employés de Spendesk qui ont maintenant monté leur startup. Comment tu expliques ça ?
C'est quelque chose dont nous sommes extrêmement fiers. Arriver à transmettre cette fibre entrepreneuriale est quelque chose qui est important pour moi personnellement. Cela montre deux choses :
Premièrement, tu as cette liberté managériale qu'on a pu donner dans la construction de l'entreprise. Ce qui fait que les gens se sont sentis, je n'aime pas ce terme mais, "owners" de leur périmètre au sein de l'entreprise. Ils ont pu voir la corrélation entre leurs actions et l'impact qu'ils pouvaient avoir pour l'entreprise. Donc, ça développe cette fibre entrepreneuriale, ça revient sur une logique culturelle où l'entrepreneuriat est quand même mis en avant dans les valeurs fondamentales.
Et le deuxième point, je pense que c'est sur les typologies de profil qui sont venus construire la boîte : des profils de "builders" qui ont naturellement un appétit pour ensuite aller partir faire leur propre aventure entrepreneuriale derrière.
Vous qui connaissez l'hyper-croissance, comment garde-t-on le contrôle ?
Je pense que l'hyper-croissance est un challenge permanent pour les équipes et pour les entrepreneurs. L'hyper-croissance est un challenge dans le sens où cela demande à une organisation d'accepter du changement dans des délais qui sont très courts, alors que dans la vie normale d’une entreprise, cela prendrait 15 à 20 ans. Donc, avec le temps, de s'adapter à la fois d'un point de vue humain et d'un point de vue systémique. Tu passes ces étapes en l'espace d'un an, un an et demi, parfois six mois, avec des paliers justement de croissance et de complexité organisationnelle. Ça, c'est un vrai enjeu pour les entreprises en croissance.
Concernant le contrôle que tu peux avoir, je pense que ça dépend de deux choses :
Un, à quel point tu arrives à mettre à jour suffisamment rapidement ton infrastructure, c'est-à-dire tes manières de travailler, tes systèmes, tes processus, avec ta croissance.
Et deux, c'est peut-être le plus important, quelle culture tu as réussi à construire dans ton entreprise. Les gens se comportent ou prennent leurs décisions en adéquation avec les croyances du collectif. Ce niveau de contrôle, tu ne le perds pas, parce qu'il est par essence et par défaut inscrit dans ton organisation. Et comment est-ce que tu maintiens cette cohérence culturelle au sein de ton organisation ? C'est là où ça demande des efforts en termes de process, typiquement tes process de recrutement. Comment est-ce que tu t'assures d'un bon alignement culturel sur les croyances communes dans notre manière de travailler, dans tous tes processus opérationnels et people, pour que ta culture se maintienne au fur et à mesure de la croissance de l'entreprise.
La gestion financière des entreprises se digitalise de plus en plus, l’IA bouleverse pas mal de choses. Comment le marché va-t-il évoluer, et quelle est ta vision pour Spendesk par rapport à ça ?
Si je prends juste le marché du spend management, on est arrivé en pionnier. Le spend management, ça n'existait pas avant que Spendesk se démarque. Quand on a démarré, cette idée de décentraliser les dépenses de l'entreprise représentait un changement culturel énorme pour les boîtes, et c'est toujours un changement culturel énorme. On est en train de créer cette catégorie, on est en train d'évangéliser. C'est évident pour nous que toute entreprise qui travaille de manière moderne sera équipée d'une solution de spend management comme Spendesk. C'est la nouvelle manière de faire les choses. Tu n'as plus envie, aujourd'hui, en tant que collaborateur dans une entreprise, de voir la gestion des frais passer par du papier ou quelque chose qui semble complètement archaïque.
L'essentiel des financiers demain seront des millenials, et vont donc avoir cette nature digitale par défaut dans leur manière de fonctionner. Le marché, par ce changement générationnel, évolue. Les normes changent, et c'est hyper intéressant parce que ça mène à énormément d'opportunités. Pour nous, c'est hyper excitant. Je pense qu'on est à la pointe de l'innovation dans la manière dont on fait les choses, dont on construit les choses, vraiment avec une logique très produit et tech en termes d'ADN. C'est-à-dire de comprendre le problème fondamental auquel tes utilisateurs ou tes clients sont confrontés, et finalement, quelle approche technologique tu peux amener pour résoudre ce problème. Dans ce contexte-là, comme tu en parles, l'intelligence artificielle peut être hyper intéressante pour automatiser et libérer les gens de tâches à faible valeur ajoutée et leur permettre de se concentrer là où ils peuvent vraiment apporter de la valeur.
Je pense que la transformation de l'équipe financière a vraiment lieu, d'une fonction opérationnelle vers une fonction qui est de plus en plus stratégique, qui est plus en plus dans le business partnering avec le reste de l'organisation. Et nous, on accompagne cette transformation. Par exemple, auprès de notre communauté CFO Connect, où justement on intègre la réflexion sur comment cette fonction financière doit évoluer dans le futur au sein d'une entreprise moderne.
On a beaucoup parlé de levées de fonds ces dernières années, on parle de plus en plus de rentabilité. À partir de quel moment passe-t-on d’un modèle de scale-up en hyper croissance à une entreprise rentable ?
Je pense qu'il y a un double élément là-dessus.
Pour moi, le premier point qui est primordial, et pour nous ça a été hyper important, c'est de s'assurer que tu aies des unit economics qui fonctionnent. Et ça, ça doit toujours être le cas. C'est-à-dire que le business model de l'entreprise doit fonctionner. Il y a des business qui sont lancés sur la base d'hyper croissance avec des unit economics qui ne fonctionnent pas, en se disant "on verra plus tard, pour l'instant, on capte le marché et on verra peut-être comment on maîtrisera ça". Ça n'a jamais été notre cas. Nous, on a toujours voulu avoir des unit economics où le business model fonctionne, et fonctionne dans le temps. C'est-à-dire en passant à l'échelle.
À partir du moment où ton modèle économique fonctionne, c'est plus une question de marché. Si tu peux dire "je suis capable, avec du capital, d'accélérer sans dégrader mon modèle économique", alors vas-y. Tu auras toujours des investisseurs pour t'aider et pour avancer à ce moment-là. Si tu te dis "je ne suis pas capable de déployer ce capital sans aller dégrader mon modèle économique", tu ne vas pas aller chercher à lever des fonds.
Nous, on a levé. On a été extrêmement bien financé, et on est toujours extrêmement bien financé. À court terme, on n'a pas un besoin d'aller chercher du financement supplémentaire. On a tout ce qu'il nous faut pour continuer à pousser sur l'accélérateur.
Mais encore une fois, pour moi, c'est important pour un entrepreneur et pour une entreprise d'attacher beaucoup d'attention à la structure du modèle économique et de s'assurer qu'il soit sain à toutes les étapes du développement de l'entreprise.
Très intéressant. Pour terminer, quels sont vos enjeux à venir en 2024 ?
À très court terme, c'est quelque chose que nous sommes en train de faire, intégrer une grosse partie de la technologie de paiement que nous utilisons au sein de Spendesk pour amener une meilleure expérience à nos clients.
Notre deuxième enjeu, en termes de produits, c'est d'intégrer Spendesk à tout son écosystème le plus rapidement possible. L'écosystème vertical entre les banques et les ERP comptables, mais également tout l'horizontal avec le reste des systèmes opérationnels de l'entreprise, que ce soit le système RH, les autres systèmes qui sont utilisés par la finance, les systèmes de project management. Parce que tes achats, la manière dont tu gères la boîte, sont vraiment au centre.
Et le troisième point, ce sont des enjeux d'automatisation de nos workflows. Comment allons-nous continuer d’apporter au quotidien plus de valeur à nos utilisateurs en automatisant un maximum de leurs tâches à faible valeur ajoutée, en leur amenant du contexte pour pouvoir prendre des décisions qui sont plus éclairées.
Au niveau du développement de l'entreprise, nous sommes encore petits par rapport à la taille de notre marché, qui est gigantesque. Donc on est toujours dans une trajectoire de forte croissance et d'acquisition de parts de marché.
Merci beaucoup à Rodolphe pour son temps ! Rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir un placement financier encore très peu connu et peu accessible.