🎙️⭐️ Bilan 2023 et perspectives de l'écosystème FinTech
Avec Alain Clot, président de France FinTech.
Salut tout le monde 👋
Aujourd’hui, c’est la dernière interview de l’année ! 😢
Pour l’occasion, je me suis dit qu’il serait intéressant de dresser un bilan 2023 de l’écosystème fintech et de parler des grands enjeux auxquels il va faire face dans les années qui arrivent.
J’ai réussi à obtenir 30 minutes avec la personne qui, je pense, est la mieux placée pour cela : Alain Clot, le président de France FinTech, association (que vous connaissez certainement) qui promeut et représente les fintechs françaises auprès des pouvoirs publics, du régulateur et de l’écosystème. 🇫🇷
Au programme de notre discussion avec Alain :
La mission de France FinTech ⭐️
Le bilan 2023 de l’écosystème 📊
L’attractivité du marché français 🇫🇷
Les perspectives & enjeux à venir 🚀
⏱️ Temps de lecture : 7 minutes
Bonjour Alain, pourrais-tu commencer par nous parler un petit peu de toi et de ton parcours ? Comment en es-tu arrivé à être président de France FinTech ?
Bonjour Thomas, je suis banquier de formation. J'ai fait à peu près tous les métiers de la banque : j'ai été inspecteur à l'inspection générale, j'ai dirigé SG Canada, la salle des marchés de Londres. Pendant six ans, j'ai été directeur de la stratégie de la SG, des années intenses marquées par le début du numérique, l'achat de Boursorama, d’ALD et de nombreuses entités dans le monde. J'ai également occupé le poste de directeur général délégué du Crédit du Nord.
Depuis une dizaine d’années, j'ai changé de vie et me suis orienté vers la finance innovante. Par exemple, j'ai été l'un des investisseurs et membres du conseil de Nickel. Aujourd'hui, je me concentre sur trois activités.
Premièrement, je suis business angel, investissant mon temps et mon argent dans des startups early stage, parfois très early (en phase d’amorçage). J'ai une vingtaine de lignes d'investissement, principalement dans des entreprises qui m'intéressent et résultent de rencontres enrichissantes.
Deuxièmement, je conseille un nombre restreint de chefs d'entreprise du secteur financier.
Enfin, mon activité principale est d'être le président (bénévole) de France FinTech. Avec d'autres entrepreneurs de la FinTech française, nous avons créé l'association en 2015. À l'époque, avec une dizaine de fondateurs, nous réfléchissions à la nécessité d'être représentés, mieux connus et structurés. D'où la décision de créer France FinTech, association à but non lucratif.
Une anecdote amusante : lorsqu'on a décidé de la stratégie de l'association, quelqu’un a dit qu’il fallait maintenant incarner l’association. J'ai alors suggéré un nom, j’ai découvert qu’ils pensaient à moi. Surpris, je leur ai demandé pourquoi moi. Leur réponse m’a étonné : ils cherchaient quelqu'un de biculturel, “bilingue”, c'est-à-dire ayant de l’expérience à la fois dans la finance classique et la technologie. J'ai aimé l'idée et ai accepté.
La fintech est un secteur d'excellence en France, le premier secteur de la tech française. C'est donc un domaine idéal pour entreprendre, pour débuter sa carrière, ou pour entamer une seconde partie de parcours professionnel.
Quelle est la mission de France FinTech ?
Nous avons monté l'association autour de trois objectifs principaux.
Premièrement, faire connaître la fintech française. Cela implique énormément de prises de parole. Personnellement, je prends la parole presque chaque semaine à travers des interviews, conférences, participation à des tables rondes, masterclass, etc. Par exemple, ce matin, j'étais chez Google, il y a trois jours à Sciences Po, et il y a une semaine à la Sorbonne. Ces prises de parole sont cruciales pour expliquer et promouvoir la fintech française, notamment auprès des étudiants.
Deuxièmement, représenter les entrepreneurs face à toutes les parties prenantes : les cabinets ministériels, le Trésor, les services de l’État, que nous rencontrons régulièrement, les parlementaires, les régulateurs, la Commission européenne, le monde académique, l'enseignement, ainsi que les banques et les assurances. Nous avons divers moments de représentation, comme le forum FinTech de la régulation avec l’ACPR et l’AMF, auquel nous participons activement. Nous contribuons à toutes sortes de réflexions demandées par les services de l’État, les parlementaires, la Commission européenne. Nos statistiques sont fréquemment utilisées par les services publics. Nous essayons d'être à la fois représentants et citoyens, en contribuant à des initiatives qui font prospérer l’intérêt général.
Troisièmement, animer l'écosystème fintech. Nous nous efforçons de contribuer à la création de champions français de classe internationale, l’inclusion financière, l'emploi qualifié, la finance verte et la mixité.
Ces trois grandes missions auxquelles s'ajoutent toutes sortes de mise en relations, de création de contenus et d'événements, constituent le cœur de nos activités.
Comment est composé l’écosystème de France FinTech ?
L'association compte plus de 300 fintechs et plus de 80 grands partenaires.
S’agissant des fintechs, nous les catégorisons en trois groupes principaux : les jeunes pousses, les startups, et les scale-ups. Il y en a même une quatrième catégorie : les licornes, car nous en comptons dix désormais (premier contingent de la tech française).
Pour ce qui est des partenaires, nous collaborons avec de nombreux grands groupes, grandes banques, assureurs, gestionnaires d'actifs. Mais aussi des fonds d'investissement, des sociétés de conseil, et des cabinets d'avocats, des entreprises technologiques. Nous sommes fiers de l’engagement à nos côtés de partenaires issus de la sphère publique, comme la Banque de France et la BPI, qui ont manifesté leur intention de nous rejoindre.
Nous entretenons également de nombreux liens académiques, en partenariat avec des universités et des grandes écoles. Nous collaborons avec des associations sœurs, en particulier celles des “verticales” de métier. Il y a l'ADAN pour la verticale des cryptos, FPF pour le financement participatif, et des associations pour le paiement et l'assurtech.
Notre objectif est de fédérer autant que possible l'écosystème fintech français, qui est l'un des plus structurés d'Europe. Je pense même qu'il est le plus structuré, car nous maintenons entre toutes les composantes une communication directe. Nous sommes capables de prendre des décisions rapides, d'identifier les problèmes promptement et de disposer de bases statistiques solides.
Quels sont les événements qui ont été marquants dans l'écosystème en 2023 ?
Notre dernier événement, FinTech R:Evolution, a été intitulé “Riders on the Storm”. Un clin d’œil à la chanson des Doors... Nous voulions symboliser ce qui caractérise la période actuelle.
Nous évoluons en effet dans un environnement global qui s'apparente à une tempête. L'économie générale est très agitée, pour des raisons géopolitiques évidentes, mais aussi économiques. Les taux augmentent, l'inflation a grimpé et ne reviendra pas aux niveaux antérieurs. Ces tensions ont un impact important dans le monde de la tech, avec notamment deux phénomènes principaux.
Premièrement, une forte baisse des levées de fonds en capital risque. Même si cette baisse est un peu moins marquée que dans d'autres grands marchés, elle atteint tout de même près de 70%. Le montant reste encore significatif avec 800 millions d'euros. Nous demeurons le premier écosystème de l'Union européenne et le deuxième en Europe, derrière les Anglais (que nous grignotons peu à peu…).
Deuxièmement, une baisse des valorisations. Bien que je ne dispose pas de statistiques globales, je crois pouvoir dire que cette baisse est moins prononcée ici que dans certains autres écosystèmes, probablement en raison d'une inflation antérieure moins forte. Nous disposons d’une dizaine de licornes, mais pas encore de décacornes, qui ont davantage pâti de la baisse. Les valorisations ont diminué en France, mais sans effondrement. A certains égards, cela peut être positif, car permettant de corriger certains excès. La valorisation n'est pas une fin en soi, mais un moyen, une ressource pour se développer.
Cependant, en tant que “riders”, nous nous tenons debout sur notre planche de surf et nous nous en sortons plutôt bien. Comment cela se traduit-il ?
Premièrement, par la poursuite de la forte croissance des chiffres d'affaires, car la numérisation des services financiers continue de se développer.
Deuxièmement, par une monétisation qui continue : près d'un tiers des startups ont déjà atteint l'équilibre, alors que plus de la moitié d'entre elles ont moins de cinq ans. Plus de 50% ont un chiffre d'affaires supérieur à un million d'euros, contre 36% en 2022.
L'internationalisation avance bien. La plupart des grands champions ont franchi les frontières et sont présents dans 3, 4, 5, 6 pays, notamment dans l'UE, grâce à l'agrément réglementaire (un agrément dans un pays de l’Union donne accès aux autres, soit 400 millions de consommateurs potentiels).
Côté recrutement, on a bien observé un ralentissement pendant la pandémie, et quelques réductions d’effectifs ici ou là au début de l’année, mais cela a bien repris.
Enfin, le M&A s'accélère avec de nombreuses opérations déjà réalisées ou en cours. La majorité est du M&A intra-fintechs. Et plusieurs de nos acteurs achètent leurs concurrents européens (Qonto, +Simple par exemple).
Nous sommes dans un environnement complexe et perturbé, avec une baisse des financements et des valorisations. Mais les fondamentaux se développent bien. Si nous survivons à tout cela, nous en sortirons renforcés, avec une prime à la qualité. Une startup qui a réussi est une startup qui a surmonté plusieurs crises.
Mais là, il y a une belle résilience de l'écosystème français, dont je suis vraiment très fier.
Pour discuter régulièrement avec quelques acteurs de l’écosystème à l’étranger, le marché français a une image de marché attractif, en fort développement. Pourquoi selon toi ?
Ce n'était pas facile au début car il y avait très peu de capital-risque en France. En plus de cela, les fintechs françaises faisaient face à des concurrents de taille : les grandes banques et les grands assureurs français, qui sont parmi les meilleurs d'Europe et ont survécu à la crise de 2008. Ce n'était pas simple, mais cela stimulait la compétition. Les débuts ont donc été plus compliqués.
Maintenant, nous nous appuyons sur un capital-risque compétitif et un haut niveau de collaboration avec les banques et les assurances. Le Brexit a joué un rôle bien sur. En tant que citoyen, je suis triste, mais en tant que président de France Fintech, beaucoup moins… Avec le Brexit, le Royaume-Uni a perdu l'accès au passeport réglementaire de l'UE, et Paris a le plus bénéficié des relocalisations d'emplois financiers.
La France est attrayante pour plusieurs raisons :
Premièrement, c'est l'un des deux grands pays de l'UE en termes de taille, avec un marché de 67 millions de consommateurs à haut niveau de pouvoir d'achat.
Deuxièmement, Paris a une densité élevée d'acteurs financiers, ce qui est utile pour les coopérations.
Troisièmement, nos écoles en finance et en technologie numérique sont parmi les meilleures du monde, avec une expertise pointue en IA, blockchain, Web3, et même en quantique.
Ensuite, nos infrastructures sont de très bonne qualité, et nous avons un écosystème structuré, le plus structuré d'Europe à mon avis.
Enfin, la qualité de vie en France est appréciée par beaucoup.
En résumé, partant d'une situation plus difficile avec un régulateur initialement peu favorable à l'innovation numérique, de grands compétiteurs performants, et presque pas de capital-risque, nous avons progressé remarquablement. Nos régulateurs ont opéré une sorte de “révolution culturelle”, et la coopération avec les grands établissements est forte, avec plus de 1 500 partenariats avec les banques et les assurances.
Le capital-risque est maintenant élevé en volume. Nous avons réuni les conditions nécessaires et avons avancé : 12 licornes, un champion du monde (Ledger), plusieurs champions d'Europe, des spécialités comme la néo-banque des PME, le traitement de la facture, la comptabilité, la complémentaire santé, et une place forte dans la crypto et le Web3.
Chez France Fintech, notre objectif est de contribuer à créer un écosystème attractif qui regarde le monde, dans une vision européenne, pour fabriquer des champions français et contribuer à l'échelle européenne. En forgeant les “Airbus” du secteur.
La collaboration entre les grandes institutions financières et les fintechs est un enjeu important pour faire avancer l’écosystème. Qu’en penses-tu ?
Il nous faut évoluer avec une chose et son contraire. Dans le jargon de la tech, cela s'appelle la “coopétition” : être en coopération et en concurrence à la fois. Ce qui a changé, c'est que les grandes banques et les assureurs l'assument aujourd'hui et vivent bien avec cette réalité. Au début, c'était plus compliqué, mais maintenant, beaucoup de nos fintechs ont une activité de coopération et une partie concurrente avec ces établissements. Cela ne pose de problème à personne, l'économie étant ouverte.
Nous avons connu une période avec beaucoup d'achats par les grands groupes bancaires et assurantiels, mais c'est moins le cas maintenant. Les grands acteurs, déjà “équipés”, ne vont pas acheter plusieurs RoboAdvisors ou CrowdFunders. Il y aura encore des opérations, mais sans doute moins.
Un autre aspect était de familiariser les clients français avec autre chose que la banque ou l'assurance universelle, profondément ancrées en France. Moi-même, ayant été client de banques dans plusieurs pays, je peux dire que la France avait une approche unique avec le même fournisseur pour la banque, l'assurance, les paiements, les cartes, l’investissement, etc... Cela change progressivement. On le voit avec Lydia, qui compte 6 millions de clients, dont 35% des 18-35 ans. On voit que les choses évoluent rapidement.
Aujourd'hui, nous sommes parvenus à l'âge de la maturité dans la coopération. Une coopération gagnante où aucun des deux partenaires est contraint de travailler avec l'autre. Ce qui est frappant, c'est que les banques et grands établissements s'engagent dans des sujets profonds et essentiels de leur activité, comme la connaissance client et l'analyse du risque, avec un niveau de confiance élevé permettant une véritable coopération.
J'apprécie cette qualité de coopération, notamment dans l'assurance, où elle se manifeste dans la tarification, la gestion des sinistres et la relation client.
On observe également des schémas d'accélération, d'incubation, de studio et d'innovation.
À ce sujet, j'ai oublié de mentionner que l'amorçage se porte très bien en France actuellement, signe que la créativité continue dans tous les secteurs. Sur la coopération, je dirais que c'est l'âge de la maturité, et qu'ensemble, on conquiert des marchés.
Quels sont les grands enjeux que vont connaître les fintechs, selon toi, sur les prochaines années ?
Tout le monde est focalisé sur l'atteinte d'une taille critique et la monétisation. Il est essentiel d'atteindre une taille suffisante pour être significatif sur le marché et amortir ses coûts. Quant à la monétisation, contrairement à ce qu’on pût dire certaines mauvaises langues, elle a toujours été l’objectif, la vocation des startups n'étant bien sûr pas de perdre de l'argent. La crise a seulement accéléré ce processus de monétisation et c’est très bien.
L'internationalisation est également un enjeu majeur, il faut l’accélerer. Et puis il y a l'arrivée de l'IA générative, qui est cruciale pour nous dans le secteur de la finance, un domaine riche en données. Le potentiel est considérable.
Le dernier point que je soulignerais est la consolidation. Nous voyons émerger des champions dans chaque verticale qui vont procéder à des consolidations.
Il y a des secteurs en particulier que tu vois avoir une croissance importante sur les prochaines années ?
L'impact est en train de s'infuser dans tout l'écosystème. Beaucoup d'acteurs sont nativement construits autour de cette notion, avec une forte considération pour l'impact au sens large (finance verte, inclusion financière, investissement responsable, etc).
Ensuite, il y a le rôle considérable que va avoir la technologie.
L’IA générative bien sûr. Mais aussi le web3. Certains disaient que tout serait web3, puis d'autres que c'était terminé. Je suis convaincu que non. Le web3 et la tokenisation représentent un mouvement très profond, auquel travaillent non seulement les fintechs mais aussi les grands établissements.
Un autre enjeu majeur est stratégique. Je l'appelle le réglage verticalisation- horizontalisation : devenir le champion du monde dans son domaine précis d'origine (spécialisation) ou se transformer progressivement en une plateforme intégrant de plus en plus de services, comme dans le cas des néo-banques, des néo-assurances, ou des super apps ? Ce débat se résout de manière différente selon les secteurs.
L’assurtech est également l'un des principaux secteurs les plus dynamiques, les fintechs servant les TPE et PME ont un potentiel considérable. En réalité, tous les secteurs sont chers à mon cœur et je les vois tous se développer.
Est-ce que tu aimerais dire quelque chose pour terminer ?
Oui, je dirais que la France est un pays formidable pour entreprendre aujourd'hui. Comme je l'ai mentionné au début, nos atouts ont pris 50 ans à se construire : l'infrastructure, tant publique que privée, un monde académique d'excellence, des compétences en mathématiques et en finance, tout cela ne s'est pas fait du jour au lendemain. Ce qui nous manque, bien que complexe, prendra moins de temps à développer : de grands fonds, un Nasdaq européen, une volonté politique affirmée. Convertir nos compétences, de classe mondiale, en champions. C’est difficile, mais à notre portée.
La fintech est un secteur d'excellence en France, le premier secteur de la tech française. C'est donc un domaine idéal pour entreprendre, pour débuter sa carrière, ou pour entamer une seconde partie de parcours professionnel.
Je fais partie de ceux qui croient fermement en cette vision. Le bureau de France FinTech partage cette conviction et une forte volonté de réussir. Nous ne sommes pas là pour créer de petites entités ou pour l'excellence académique uniquement. Nous visons à créer de l'emploi qualifié, à contribuer à la souveraineté nationale, et à remplir nos obligations envers la planète, en matière d'inclusion et d'éducation financière. Nous sommes résolument tournés vers la conquête.
Un grand merci à Alain pour ce superbe bilan de l’année 2023 ! Je vous donne un dernier rendez-vous la semaine prochaine pour un méga-récap’ de toutes mes interviews du S2.