🎙️👋 Adieu les banques traditionnelles ?
Avec Adrien Touati, co-fondateur & CEO de manager.one.
Salut tout le monde 👋
Quand on parle de banque en ligne, on pense tout de suite aux particuliers, aux indés, ou aux petites entreprises. C’est sur cette voie que c’était engagé mon invité du jour, avant de prendre un virage, réussi, sur les grandes entreprises.
Aujourd’hui, je reçois Adrien Touati, le CEO & co-fondateur de manager.one, une banque en ligne qui ne perd pas d’argent (c’est important de le souligner tant c’est rare 😄) et qui compte parmi ses clients des entreprises qui dépassent le milliard de CA !
Au programme de notre échange :
manager.one et ses enjeux 🚀
Leur business model 💶
Le manque de transparence des startups 📊
La période difficile dans la Tech ⛈️
⏱️ Temps de lecture : 6 minutes
Salut Adrien ! Pour commencer, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Salut Thomas, je suis un des cofondateurs de manager.one, une banque en ligne qui a démarré en 2016 et a officiellement ouvert ses portes en juillet 2017. Avant cela, je travaillais dans une filiale d'Iliad, la maison mère de Free. Mon travail concernait tout ce qui touchait aux app-mobiles, à l'expérience utilisateur, l'interface… tout ce qui concerne les utilisateurs. Par la suite, j'ai pris en charge Télé-Loisirs, une app télé que tu connais peut-être, qu’on a vendu en avril 2015. On s'est alors mis à réfléchir à notre prochaine aventure avec mes cofondateurs.
Intéressant ! Mais alors comment en es-tu arrivé à monter une FinTech ?
J'ai monté plusieurs boîtes et participé à plusieurs aventures entrepreneuriales. Et finalement, ce qui revient constamment, c'est la complexité avec le compte bancaire au départ. Obtenir une attestation de dépôt de capital, immatriculer ton entreprise, c'est compliqué dans une banque classique. C'est comme ça que j'ai eu l'idée de créer une banque en ligne pour les pros. Parce que la création d'une boîte, c'est un vrai casse-tête.
Du coup, que faites-vous chez manager.one ?
Chez manager.one, nous sommes une banque en ligne pour les entreprises. Pourquoi les entreprises ? Parce qu'ils ont bien plus de besoins que les particuliers en termes de services bancaires. On s'est d’ailleurs vraiment démarqué avec notre offre liée aux cartes et aux moyens de paiement.
En 2019, on a compris que notre vrai public n’était pas les freelances et les auto-entrepreneurs, car il y avait déjà du monde sur ce créneau. On s’est donc concentré sur les grandes entreprises, et ça a marché. On est peut-être l'une des rares banques en ligne à être à l’équilibre aujourd'hui.
On a des groupes qui ont plusieurs milliers de salariés. Notre plus gros client doit faire 40 000 salariés, et plusieurs font au-delà du milliard d'euros de chiffre d'affaires.
Vous avez une offre spécifique sur les cartes bancaires il me semble ? Tu peux nous expliquer ?
Absolument, nous avons une offre de cartes qui se démarque, notamment grâce à une cinquantaine de paramètres. Ce qui a vraiment fait la différence à partir de 2019, c'est l'obligation de fournir un justificatif après chaque dépense. Cela signifie que si un collaborateur ne justifie pas une opération, sa carte ne fonctionnera plus. Cette mesure incite les collaborateurs à expliquer pourquoi ils ont utilisé la carte. Les grandes entreprises sont réticentes à fournir des cartes à leurs collaborateurs car elles manquent de confiance envers eux et craignent le manque de rigueur. En appliquant ce type de paramétrage, nous résolvons ce problème. Quand on voit que la gestion des notes de frais en interne peut prendre plusieurs heures par mois pour chaque collaborateur, c'est une perte de temps incroyable.
Aujourd'hui, nous avons une entreprise qui possède plus de 500 cartes, et cela ne lui coûte que 30€ au total par mois. Il n'y a pas de coût mensuel par utilisateur ou par carte. Nous avons été très compétitifs en termes de tarification vis-à-vis des grandes entreprises, et nous avons également excellé en termes de fonctionnalités, en offrant un suivi en temps réel et, encore une fois, grâce à une cinquantaine de paramètres qui font la différence sur le marché.
Je me suis toujours posé des questions sur le business model des banques en ligne. Le prix des abonnements est généralement très faible, alors que c’est une structure, une organisation complexe derrière tout ça. Pourrais-tu nous parler de votre business model ?
L'abonnement est une de nos sources de revenus. La deuxième source de revenus provient des commissions d'interchange sur toutes les transactions par carte, en particulier sur les cartes business, où ces commissions sont bien plus élevées que sur les cartes consumer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avons pas ciblé les particuliers, car le modèle économique est très complexe. Je pense qu'objectivement, une banque en ligne ne peut pas gagner d'argent uniquement en gérant les comptes courants de ses utilisateurs, mais plutôt en proposant des produits spéciaux.
Nous offrons nos services en marque blanche et en marque grise, ce qui est une partie essentielle de notre stratégie, car nous estimons que la diffusion de nos produits à travers notre propre marque et d'autres marques de l'écosystème est la voie la plus rapide. Plus récemment, nous avons également tiré des revenus des dépôts. Aujourd'hui, nous ne sommes plus sur des taux négatifs, mais des taux positifs.
Vous proposez des solutions de financement également ?
Pas directement sous la marque manager.one. manager.one est une marque, mais derrière, il y a une banque, la Banque Wormser Frères, qui a pour mission de proposer des produits de financement dont l’excellent service de Venture loan.
Il nous arrive d’orienter des clients vers ce produit. Nos clients viennent chez nous pour utiliser un service spécifique. Nous n'avons pas l'arrogance de prétendre que nous pouvons devenir la seule banque pour les ETI ou les sociétés du CAC 40. Non, nous sommes un excellent logiciel avec d'excellentes fonctionnalités, mais nous ne pourrons jamais remplacer l'ensemble des banques dans un pool.
C'est un métier à part entière, le financement. Les grandes banques le font très bien. L'accompagnement est également crucial, et ce n'est pas notre cœur de métier de gérer les comptes des grandes entreprises. Notre modèle économique n'a rien à voir avec le leur. Tu ne peux pas prétendre, avec un tarif de 30 euros par mois sans autres frais, que tu peux fournir un gestionnaire dédié pour quatre clients. Dans ce cas, ton modèle économique ne fonctionne plus du tout.
Justement, comment vous vous positionnez généralement dans le pool bancaire des entreprises ? Vous êtes banquier principal, secondaire ?
Pour les grandes entreprises, nous ne sommes ni la banque principale ni la banque secondaire. Nous sommes un outil.
Pour les entreprises de taille moyenne, nous sommes souvent la banque secondaire, et nous commençons à voir de plus en plus d'entreprises de taille moyenne qui nous utilisent comme banque principale.
Ensuite, nous avons naturellement des petites entreprises qui utilisent notre solution, car n'importe qui peut ouvrir un compte chez nous. Dans ce cas, nous sommes leur banque principale, car ils viennent chez nous pour obtenir une attestation de dépôt de capital. Ils le font eux-mêmes en quelques minutes, cela fonctionne très bien pour eux, et donc nous sommes leur banque principale.
D’un côté vous proposez de la création d’entreprise avec le dépôt de capital, de l’autre vous proposez des solutions aux grandes entreprises. Comment expliquer ce grand écart ?
Les fonctionnalités que nous développons sont conçues en fonction de notre typologie de clients cibles, mais elles fonctionnent parfaitement pour toutes les petites entreprises de toute façon.
Notre force commerciale est axée sur les synergies avec nos partenaires, notamment les grands groupes. Je n'ai pas une force commerciale qui va chercher à débaucher tous les auto-entrepreneurs et freelances. Dès le départ, nous avons fixé un tarif de 30€ par mois, ce qui crée une certaine barrière à l'entrée pour ceux qui recherchent la banque la moins chère possible. Notre idée n'est pas d'offrir la banque la moins chère du marché, mais la meilleure pour le meilleur prix. Donc, pour les grandes entreprises, ce n'est pas un problème de payer 30€. Par contre, pour les auto-entrepreneurs et freelances, cela peut être un sujet important, et ils sont souvent enclins à choisir la solution la moins chère, qui n'est pas nécessairement la plus complète. Cette typologie de clients génère très peu de dépenses par mois et donc très peu de revenus supplémentaires en dehors de l'abonnement.
C'est un choix que nous assumons pleinement. Avec le recul, nous pouvons dire que c'est un choix très positif. Nous sommes, je pense, les seuls rentables sur le marché. Aujourd'hui, le changement d'optique est davantage axé sur la rentabilité et la viabilité de l'entreprise. Le pari est donc gagné dans ce sens. En 2024, manager.one va générer plusieurs millions d'euros de contribution au résultat.
Justement, en parlant d’actualité, il y a récemment un article qui est parue sur la (non) publication des comptes des startups. Tu en penses quoi ? Vous publiez vos comptes vous ?
La réponse est simple. Étant donné que c'est une banque qui opère l'activité, tout est publié et public. Tu peux trouver le bilan 2022 sur le site de la Banque Wormser Frères, avec toutes les informations et les données. C'est pourquoi certains acteurs préfèrent ne pas devenir de véritables banques et restent des établissements de paiement, car lorsque vous devez être totalement transparent, il est plus difficile de raconter n'importe quoi.
Honnêtement, je n'aime pas particulièrement la French Tech et tout ce qu'elle représente. Il y a très peu de transparence, beaucoup de discours creux, et nous ne nous occupons pas de l'aspect humain comme nous le devrions. De nombreux fondateurs sont constamment dilués à l'extrême et finissent par ne plus créer de valeur. Chaque année, il y a des boîtes qui lèvent des fonds, certaines même à hauteur de 200 millions, et qui finissent par se retrouver en redressement. Cela montre à quel point les levées de fonds étaient devenues un critère essentiel pour la French Tech, au point que cela en est devenu malsain.
Pendant ce temps, nous nous concentrons avec nos équipes sur la construction du meilleur projet et sur la création d'une structure saine. Mais quand tout le marché vous dit que vous suivez le mauvais modèle, cela devient fatigant d'être le seul à penser différemment. Et, quand tu as raison, étrangement, personne ne vient te dire : "Ah, tu avais raison".
Donc, non, je n'aime pas spécialement la French Tech. Je n'aime pas ce qu'elle représente. Je n'aime pas la manière dont elle fonctionne, qui est très arrogante. Voilà, je pense qu'il y a beaucoup de choses à améliorer dans notre écosystème.
Le contexte est assez compliqué en ce moment dans la Tech. Il y a pas mal de rachats. Penses-tu qu’on va se retrouver à terme avec quelques gros acteurs qui vont dominer le marché ?
Je pense que le mot "rachat" est un grand mot. En réalité, de plus en plus d'entreprises sont reprises pour 0€ ou des bases de données sont vendues pour quelques centaines d'euros. C'est surtout ça la réalité. Les vrais rachats sont rares. Il peut y en avoir un pour cinquante. Et en général, lorsqu'il y a un vrai rachat, il est souvent annoncé de manière aussi arrogante qu'une levée de fonds.
Alors, au final, qu'est-ce que sont ces rachats ? Sont-ils bénéfiques ? J'en ai vu un ce matin, c'était assez amusant. On annonce que toute cette activité sera transférée ou vendue à telle entreprise. En réalité, il s'agit souvent simplement d'une base de données ou d'un simple lien d'affiliation, ce qui revient à une vente à perte, un peu comme Orange Bank.
Les banques traditionnelles ne risquent pas de disparaître avant un certain temps. Bien sûr, cela arrivera un jour, car elles sont incroyablement lourdes et compliquées à manœuvrer. Mais cela prendra énormément de temps, car tant que de nouveaux acteurs puissants, disposant des mêmes produits qui ont conduit ces acteurs traditionnels à dominer le marché, n'émergent pas, les banques traditionnelles seront tranquilles. Elles auront le temps de voir beaucoup d'autres acteurs disparaître.
Tant que ces nouveaux acteurs ne comprendront pas qu'il faut du temps pour devenir aussi gros que BNP et compagnie, rien ne changera. Ce n'est pas une question de lever des fonds, mais plutôt de croissance intelligente et durable, et cela prend beaucoup de temps. Tu ne peux pas simplement lever 200 millions d'euros et exister depuis 5 ans pour les faire disparaître. Il faut savoir rester modeste. Tout cela prend énormément de temps. La réalité est la suivante : les fondateurs doivent décider s'ils veulent créer des produits durables sur le long terme ou s'ils veulent vendre dès la première occasion et risquer d'être absorbés ou de disparaître sans rien construire de nouveau.
Tant que nous n'aurons pas d'acteurs qui auront existé pendant 15 ou 20 ans, rien ne changera dans l'écosystème. Cela prend beaucoup de temps pour s'imposer, surtout dans le domaine de la finance, qui est le plus complexe et délicat. Les Français n'aiment pas leur banque, mais ils ont confiance en elle. En revanche, ils adorent les FinTechs, mais n'ont pas confiance en elles. Tant que vous n'aurez pas d'acteurs qui inspirent une confiance totale et qui montrent qu'ils sont solides, cela ne fonctionnera pas.
Très intéressant comme point de vue ! Pour terminer, quels sont vos enjeux sur les années à venir ?
L’enjeu principal, c’est de continuer à rassembler une équipe aussi brillante que celle que nous avons aujourd'hui. Nous ne sommes pas dans la quantité, comme l'ont fait la plupart des acteurs du marché en embauchant massivement, puis en licenciant massivement. C'est ce que je déteste. Notre objectif est de construire quelque chose ensemble, de nous inscrire dans la durée et de trouver un équilibre pour tous. C'est l'enjeu numéro un, c'est l'équipe, l'humain. Si nous parvenons à créer une alchimie exceptionnelle au sein de l'équipe, nous aurons un excellent produit. Avec un excellent produit, nous obtiendrons des résultats. C'est donc notre plus grand défi.
Nous mettons également l'accent sur les synergies avec nos partenaires, notamment les grandes banques. Donc, si de belles banques lisent cette interview, n'hésitez pas à nous solliciter pour explorer ce que nous pouvons faire ensemble. Notre ADN, c'est de diffuser au maximum ce que nous savons faire, plutôt que d'imposer l'utilisation de manager.one. Vous pouvez rester chez votre banque actuelle, et si elle souhaite travailler avec nous pour créer des produits, c'est encore plus intelligent.
Merci à Alexandre pour cet échange ! Rendez-vous la semaine prochaine pour parler d’Open Banking. 🎙️🎙️
Chouette interview sans langue de bois, je partage la vision de la French Tech !